La Théorie du Rythme dans L’esthétique Négro-Africaine de Léopold Sédar Senghor(Babacar Mbaye DIOP)

Résumé

C’est dans son article « Ce que l’homme noir apporte » (1939) que Senghor écrit cette phrase qui sera le leitmotiv de sa pensée esthétique : « Cette force ordinatrice qui fait le style nègre est le rythme »1. La création, chez lui, consiste, en effet, à composer des rythmes. Il pose ainsi le rythme comme une donnée esthétique essentielle de la culture et des civilisations africaines, en particulier de tous les arts.
La compréhension senghorienne de la notion de rythme dans l’art africain est, d’une certaine manière, une « réflexion continuée »2 de sa lecture de La sculpture nègre primitive de Paul Guillaume et Thomas Munro (1929), de Centres de Style de la Sculpture négro-africaine de Carl Kjersmeier (1936) et de l’Histoire de la Civilisation africaine de Léo Frobenius (1936). L’approche de ces auteurs nous place en effet dans une ontologie des rythmes et il faut lire ces ouvrages pour voir à quel point Senghor « reprend et retravaille », à propos de l’art africain, le point de vue de ces auteurs sur le rythme.
Quelle est la place du rythme dans l’esthétique de Senghor ? Comment le rythme est-il la condition première et le signe de l’art ? Quelles sont les caractéristiques du rythme dans l’art africain ?
Notre questionnement va d’abord tenter de montrer que, pour Senghor, le rythme est l’expression de l’identité nègre, c’est ce qui définit l’être-au-monde même de l’homme noir. Nous l’étudierons par la suite à travers la sculpture et la peinture négro-africaines. Nous verrons que, pour Senghor, le masque (ou la statuette) plaît parce qu’il incarne un Génie dans un langage « rythmé » et que la peinture africaine est disposée « symétriquement en formes quasi géométriques, avec des rythmes secondaires ». Le dernier point traitera du rythme dans la poésie négro-africaine : la première ébauche d’un poème, écrit Senghor, est toujours un mot, une expression, une phrase qui fait refrain.